BRIEFING

Militarisation, genre et extraction des ressources dans les Kivus post- janvier 2025

La région du Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), a connu un changement important dans la dynamique de son conflit au cours des dernières années, en particulier après janvier 2025, marqué par une expansion territoriale importante de la rébellion du M23 et, en réponse à celle-ci, par une augmentation de la présence des groupes armés locaux réunis sous la bannière des « Wazalendo ». Cette intensification du conflit a conduit à une militarisation accrue des structures de gouvernance locales et de l’économie locale dans les provinces du Kivu, y compris dans le secteur minier artisanal. Le niveau élevé de contrôle militaire a renforcé les vulnérabilités préexistantes des genres marginalisés1, et en particulier des femmes, dans et autour des sites miniers artisanaux. 

Sur la base des observations de terrain des organisations partenaires d’IPIS, des membres du réseau Kufatilia et d’autres collaborateur·rices, cette note d’information analyse la vulnérabilité et la résilience des femmes dans le secteur minier artisanal des Kivus et explore les impacts spécifiques de la crise du M23 sur la protection, les moyens de subsistance et les conditions économiques des femmes. 

Dynamiques de conflit et redistribution du contrôle dans les zones minières des Kivus

Évolution de la zone d’influence du M23 dans la région du Kivu entre février 2022 et septembre 2025.

Les dynamiques de conflit dans les provinces du Kivu ont récemment été marquées par l’expansion territoriale rapide du M23 (y compris dans les zones minières), accompagnée du remplacement par le M23 des structures de gouvernance locales existantes. Au début de la rébellion, fin 2021, le M23 ne contrôlait pratiquement aucun site minier. Son entrée dans les zones riches en minerais du Nord-Kivu n’a commencé qu’à la fin du mois d’avril 2024, lorsqu’il s’est davantage propagé dans le Masisi et a consolidé son contrôle sur la région. Ensuite, en janvier 2025, le M23 a capturé Goma et a rapidement progressé vers le Sud-Kivu. Le mouvement contrôle désormais des villes clés, qui servent de centres commerciaux pour les minerais, ainsi que des zones d’exploitation minières artisanales dans les territoires de Kalehe, Kabare, Walungu, Mwenga et Fizi, dans le Sud-Kivu. 

Parallèlement, le gouvernement a mobilisé la jeunesse congolaise et les groupes armés, dont certains étaient sur le point d’être désarmés, sous la bannière des « Wazalendo » (patriotes en kiswahili) afin de combattre aux côtés de l’armée congolaise et d’arrêter l’avancée du M23. Depuis lors, les factions Wazalendo ont intensifié leur recrutement et leur réarmement et ont augmenté leur présence dans le secteur minier. Malgré le soutien du gouvernement, elles vivent en grande partie aux dépens de la population locale, au travers d’extorsions, de taxes et d’abus. Ce comportement prédateur a militarisé la société, ancrant davantage la violence dans la vie quotidienne. 

Opportunités et vulnérabilités : une analyse genrée du secteur minier artisanal et à petite échelle en RDC

En RDC, les femmes représentent environ 40 à 50 % de la main-d’œuvre directe et indirecte dans les économies minières artisanales, jouant un rôle économique essentiel dans ce secteur et dans l’économie locale. Néanmoins, les femmes sont souvent reléguées à des rôles périphériques, moins bien rémunérés et moins sûrs, tels que vendeuses, transporteuses, laveuses, cuisinières, travailleuses du sexe, etc. De plus, elles sont exposées à des risques structurels, tels que le manque d’accès à la terre ou aux droits miniers, la stigmatisation, l’exclusion des coopératives minières formelles et dominées par les hommes, le travail informel, etc. La participation des femmes dans ce secteur reflète souvent des décisions stratégiques visant à obtenir un revenu, une autonomie ou une mobilité, même au sein de systèmes inégalitaires. Cependant, ces stratégies restent souvent précaires et peuvent parfois même renforcer les dépendances face à des structures de pouvoir masculines ou militarisées. 

Opérant dans des environnements informels et instables, les femmes développent souvent des stratégies adaptives pour accéder à des moyens de subsistance et les maintenir dans les économies minières. Elles peuvent négocier avec des intermédiaires locaux, former des groupes d’épargne communautaires ou s’appuyer sur des réseaux de patronage pour obtenir du travail. Cependant, la récente recrudescence du conflit dans l’est de la RDC perturbe les systèmes de gouvernance locaux, y compris les autorités coutumières, les mécanismes de médiation locaux et les réseaux économiques informels qui permettaient auparavant l’accès aux femmes à des moyens de subsistance liés à l’exploitation minière. Ces arrangements adaptatifs se trouvent ainsi de plus en plus fragilisés. Par ailleurs, la résurgence du conflit et la reconfiguration des dynamiques de pouvoir ont exacerbé les risques intersectés auxquels les femmes sont confrontées dans ces espaces militarisés. 

Dans les territoires désormais contrôlés ou disputés par des groupes armés tels que le M23 et Wazalendo, les rapports font état d’une forte augmentation des violences sexuelles et basées sur le genre (VSBG). Selon le UNHCR, les VSBG comprennent le travail forcé, l’exploitation économique, l’exclusion et les mécanismes de survie qui brouillent les limites du consentement. Dans les zones d’exploitation minière artisanale, souvent militarisées, informelles et non réglementées, l’économie minière redéfinit les structures de pouvoir locales de façon à désavantager de manière disproportionnée les genres marginalisés

Dans ces contextes, les genres marginalisés sont confrontés à des formes multiples de violence et d’exploitation perpétrées par les acteurs miniers et les groupes armés. Cette violence est motivée non seulement par la recherche du profit économique, mais aussi par l’effondrement des protections sociales, les déplacements forcés, l’impunité et la normalisation des structures de pouvoir coercitives dans les zones militarisées. 

Impact de la crise sur la protection des femmes et les conditions économiques dans les zones minières des Kivus

Au cours des derniers mois, les partenaires de la société civile congolaise d’IPIS et des experts miniers ont signalé des tendances et incidents préoccupants, spécifiques au genre qui affectent la sécurité des femmes dans les zones minières des Kivus. Bien qu’ils ne soient ni exhaustifs ni statistiquement représentatifs, ces témoignages offrent un aperçu essentiel sur l’impact genré de la crise actuelle.2

  1. Violence économique et précarité 

La présence actuelle du M23 et du Wazalendo dans le Nord et Sud-Kivu a ajouté de nouvelles couches de violence économique qui touchent de manière disproportionnée les femmes. Ces groupes armés déstabilisent systématiquement les économies locales en perturbant les routes commerciales, en déplaçant les communautés et en extorquant les marchés locaux. Cette perturbation économique a un impact genré: les femmes, souvent les principales responsables de l’approvisionnement alimentaire des ménages, du commerce à petite échelle et des activités informelles génératrices de revenus, sont confrontées à une insécurité économique accrue.

Les deux groupes armés exercent un contrôle sur les économies locales par le biais de barrages routiers, de taxes illégales et de la mise en place de structures administratives parallèles. Les partenaires d’IPIS ont également signalé que ces mesures perturbent la circulation des marchandises, limitent l’accès aux zones minières, provoquent une hausse des prix des produits de base et extorquent les ménages, ce qui compromet les moyens de subsistance locaux. Une autre source a indiqué que l’érosion générale de la liquidité dans les villages miniers, où les femmes dépendent des villes voisines pour se procurer de la nourriture et des produits de première nécessité, amplifie encore davantage leur vulnérabilité économique. Les femmes portent souvent le fardeau de la survie, a noté une personne interrogée, surtout lorsque les hommes sont tués au combat, les laissant seules pour subvenir aux besoins de leur famille.

Site minier de Kabilu, Shabunda, Sud-Kivu.

Au-delà de ces pressions économiques structurelles, les femmes subissent des formes ciblées d’exclusion et de déplacement. Plusieurs sources sur le terrain provenant de partenaires locaux rapportent que le M23 a expulsé les femmes des sites miniers sous son contrôle, les coupant ainsi de l’une des rares possibilités de subsistance qui leur restaient. Dans plusieurs cas, des coopératives de femmes préexistantes ont été contraintes de partir, interrompant leurs activités économiques et compromettant des années d’efforts collectifs. Parallèlement, l’exclusion des femmes de l’accès au crédit, qui constitue déjà un défi de longue date dans les zones minières, s’aggrave, car les déplacements et l’insécurité limitent encore davantage leur capacité à accéder au capital, à reconstruire leurs entreprises ou à investir dans d’autres activités génératrices de revenus.

  1. Problèmes de mobilité et de sécurité 

Bien que les femmes demeurent actives dans les activités minières à travers les Kivus, leur capacité à se déplacer librement et en toute sécurité est de plus en plus restreinte. Une personne interrogée a indiqué que dans les zones contrôlées par les Wazalendo, telles que les territoires de Walungu et de Shabunda, les femmes signalent fréquemment être victimes d’extorsion à des points de contrôle arbitraires, où elles sont contraintes de payer en espèces ou en nature. Ces rencontres s’accompagnent souvent de fouilles corporelles intrusives et intimes, généralement justifiées par des soupçons de contrebande de minerais. Selon les partenaires locaux, celles qui ne sont pas en mesure de satisfaire aux demandes de paiement font face à du harcèlement, des menaces ou à des agressions physiques. Les partenaires ont également signalé une crainte croissante parmi les femmes d’être kidnappées, détenues ou victimes de violences sexuelles lors de leurs déplacements quotidiens. Ces craintes entravent considérablement la mobilité des femmes, aggravant à la fois leur isolement économique et leur vulnérabilité physique.

  1. Violences sexuelles et basées sur le genre 

Plusieurs personnes interrogées ont signalé des cas de VSGB impliquant divers acteurs3 et se manifestant sous diverses formes telles que le viol (collectif), les agressions, les tortures, le mariage forcé de jeunes filles, le sexe de survie, la prostitution forcée et le travail forcé. Toutefois, selon les partenaires locaux, de nombreux cas ne sont pas signalés en raison de la stigmatisation, de la crainte de représailles, et de l’accès limité aux services. Bien que ces témoignages ne soient pas nécessairement représentatifs, ils soulèvent de sérieuses préoccupations quant à la prévalence et à la nature de ces violations. 

Les femmes sont particulièrement exposées aux abus en raison de la taxation illégale et des pratiques coercitives des Wazalendo, notamment les paiements forcés à l’entrée des sites miniers, l’imposition de « jetons corporels » et les fouilles invasives. Le non-respect de ces exigences aurait conduit à des punitions extrêmes; par exemple, une source a mentionné que dix femmes auraient été exécutées dans le territoire de Shabunda pour avoir résisté à ces demandes. Selon des partenaires locaux, la légitimation gouvernementale a enhardi les éléments du Wazalendo, favorisant un sentiment d’impunité et, combiné à leur hiérarchie peu structurée, conduit à des comportements plus violents. Une personne interrogée a noté que cette intensification des abus commis par les éléments du Wazalendo pourrait avoir pour but d’affirmer leur domination et leur contrôle sur les populations locales, démontrant ainsi leur influence territoriale aux autorités de Kinshasa et forçant les communautés locales à se soumettre.

Selon une autre personne interrogée, les zones minières contrôlées par le M23 présenteraient des niveaux relativement plus faibles de VSBG, car le groupe se concentrerait sur la maximisation de la production minière, avec les femmes et enfants souvent utilisés comme porteurs. Cependant, les femmes restent exposées à des risques de coercition, d’exclusion et de harcèlement. Par ailleurs, les deux groupes armés se sont distanciés de ces violations.

  1. Problèmes liés à l’accès aux services et à la protection 

Les sources interrogées de sexe féminin ont exprimé que l’accès des femmes à la protection et aux services essentiels est systématiquement compromis. Dans certaines zones contrôlées par les Wazalendo, nos partenaires ont indiqué que les organisations locales de femmes ont été empêchées de fonctionner. Une personne interrogée a souligné la peur généralisée d’être accusée d’affiliation au M23, ce qui empêche la documentation formelle ou informelle des cas et laisse les victimes sans aucun soutien ni accès aux systèmes d’orientation. Selon les rapports, aucun kit post-viol n’est disponible dans les zones minières contrôlées par les Wazalendo, et les femmes qui tentent de s’engager auprès d’organisations locales risquent d’être prises pour cible.

Les dirigeants locaux et les prestataires de services sont également menacés. Des sources ont souligné que les acteurs et les services locaux craignaient des représailles de la part des groupes armés s’ils tentaient de documenter les cas ou autorisaient toute forme d’intervention humanitaire. Selon nos sources, le système judiciaire est pratiquement inexistant dans de nombreuses zones touchées, où aucun service judiciaire n’est opérationnel. Certains établissements de santé existent, mais ils manquent cruellement de ressources, et de nombreuses ONG internationales et nationales ont suspendu leurs activités en raison de l’insécurité.

Conclusion et recommandations

Ces observations nécessitent des investigations plus approfondies et une documentation plus systématique. Bien que la nature et l’organisation des abus varient, les acteurs locaux signalent l’absence de recours judiciaires, l’accès limité à l’aide humanitaire et le ciblage des organisations de la société civile qui tentent de documenter les violations. Ces conditions ont non seulement contribué à la sous-déclaration des VSBG, mais ont également compromis les efforts plus larges en faveur de la responsabilité, de l’inclusion et de la protection des droits humains. Pour combler ces failles, il est important de :

  • Prioritiser une protection tenant compte des questions de genre dans les zones minières militarisées. Les lacunes en matière de protection sont importantes dans les zones contrôlées par le M23 et le Wazalendo. Il est donc essentiel de veiller à ce que toutes les interventions humanitaires ou de stabilisation tiennent compte des questions de genre et soient fondées sur les réalités locales, notamment les schémas de VSBG, la mobilité restreinte et la coercition économique.

  • Soutenir les acteurs locaux, avec prudence et en tenant compte du contexte. Les rapports de terrain indiquent que les organisations locales de femmes sont confrontées à la répression et à des risques. Tout soutien à ces acteurs doit être flexible, discret et conçu de manière à éviter d’accroître leur exposition.
  1. Les genres marginalisés désignent les identités et expressions de genre qui sont systématiquement défavorisées ou rendues invisibles au sein des structures sociales. ↩︎
  2. IPIS exprime sa profonde gratitude envers ses partenaires pour leur travail courageux et pour avoir partagé leurs observations dans ces circonstances difficiles. Pour des raisons de sécurité, leur anonymat est préservé. ↩︎
  3. Le M23, Wazalendo et d’autres groupes armés ne sont en aucun cas les seuls responsables de ces tendances spécifiques au genre, et il existe de nombreux exemples de VSBG commises par des individus au sein des communautés minières ou des services de sécurité de l’État. Toutefois, cette note d’information se concentre spécifiquement sur les VSBG commises par des groupes armés non-étatiques.  ↩︎

POUR EN SAVOIR PLUS 

Ce briefing a été réalisé avec le soutien financier de l’Union européenne. Le contenu de l’éditorial relève de la seule responsabilité d’IPIS et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’Union européenne.