Lors de sa réunion plénière de 2024 à Dubaï, le processus de Kimberley (PK) a décidé de lever l’embargo sur les exportations de diamants bruts en provenance de la République centrafricaine (RCA), en place depuis 11 ans. Quels ont été les facteurs à l’origine de cette décision et quelles en sont les implications ?
Dans ces questions-réponses, IPIS se penche sur les origines de l’embargo, son impact et son efficacité, les raisons de sa levée et les conséquences potentielles pour la République centrafricaine, le PK et le commerce mondial du diamant.
Dans quel contexte l’embargo du PK sur les diamants centrafricains a-t-il été imposé ?
En 2013, la RCA a connu une escalade du conflit lorsque la Seleka, une coalition de groupes rebelles, a renversé le gouvernement. Cela a plongé le pays dans une période de conflit et d’instabilité qui perdure encore aujourd’hui. Les diamants, une ressource naturelle essentielle pour la RCA, ont été exploités pour financer les activités de rebelles, suscitant l’inquiétude de la communauté internationale.
Le PK, un mécanisme mandaté par les Nations unies pour empêcher les diamants de la guerre d’entrer sur le marché mondial, a réagi en imposant un embargo sur les exportations de diamants du pays en juin 2013. Les diamants de la RCA ont été classifiés comme “diamants de conflit”, définis par le PK comme “des diamants bruts utilisés par les rebelles pour financer des guerres contre des gouvernements légitimes”.
En 2016, après le rétablissement de l’ordre constitutionnel en RCA, le PK a partiellement assoupli son embargo, autorisant les exportations de diamants provenant de zones jugées conformes. Pour être conformes, ces zones devaient répondre à quatre critères : le contrôle du gouvernement sur la zone, l’absence d’ingérence des rebelles, des conditions de libre circulation, ainsi qu’une surveillance et une traçabilité efficaces. Entre 2016 et 2019, huit sous-préfectures du sud-ouest du pays ont été reconnues conformes.
En réponse aux préoccupations exprimées par la RCA concernant l’impact des contrôles du PK – qui, selon les négociants, ont causé des retards et perturbé leur capacité à obtenir un financement régulier et à maintenir leurs opérations – le PK a encore assoupli son cadre de surveillance en 2019. Il est passé d’un processus d’autorisation d’exportation rigoureux à un système de notification d’exportation plus léger avec des contrôles ex post par le PK. Depuis lors, aucun autre progrès n’a été réalisé et la majorité des zones d’extraction de diamants sont restées soumises à des restrictions à l’exportation jusqu’à ce que l’embargo soit entièrement levé récemment.
L’embargo a-t-il été efficace ?
L’embargo du Processus de Kimberley est une solution peu contraignante qui ne s’attaque guère aux causes profondes du conflit, d’autant qu’elle tend à favoriser un marché noir dominé par la contrebande. Le PK ne dispose pas d’un budget propre pour aider les pays à surmonter ces difficultés et à se remettre en conformité. Ainsi, l’embargo a finalement servi à rassurer les consommateurs tout en laissant de côté les communautés dépendantes des diamants et les personnes affectées par les conflits. Au fil des ans, des donateurs bilatéraux tels que les États-Unis et l’Union européenne sont intervenus et ont soutenu des programmes visant à renforcer la gouvernance du secteur minier et à améliorer la traçabilité et la durabilité de l’exploitation minière artisanale en RCA. Cependant, la controverse croissante sur l’implication des mercenaires russes de Wagner dans l’exploitation et le commerce des diamants en RCA a ralenti ces efforts, diminuant encore l’efficacité de l’embargo au cours des dernières années.
Dans la pratique, l’embargo n’a pas réussi à mettre un terme au financement des conflits et à endiguer la contrebande. Au contraire, il a favorisé un environnement propice à l’exploitation par des réseaux criminels et des mercenaires profitant du commerce illicite des diamants. Les effets les plus négatifs ont été ressentis par les mineurs artisanaux. Les négociants légaux et illégaux tenant compte des risques réputationnels liés à l’origine des diamants, les artisans miniers obtenaient des prix inférieurs. De nombreux mineurs ont abandonné le secteur et se sont tournés vers l’extraction de l’or, qui n’était pas soumise à des sanctions et qui est donc devenue une source de plus en plus importante de financement du conflit en RCA.
Quelle est la situation sécuritaire actuelle en RCA ?
Face à l’escalade des activités rebelles avant et après les élections présidentielles de décembre 2020, l’armée centrafricaine, soutenue par les mercenaires de Wagner et les troupes rwandaises, a lancé une importante contre-offensive en 2021. Pour la première fois depuis le début de la guerre civile, le gouvernement a progressivement repris le contrôle d’une grande partie du territoire, y compris de la plupart des grandes villes. Cependant, les groupes armés repoussés à la périphérie ont de graduellement adopté des tactiques de guérilla, pillant les sites miniers et ciblant les mineurs et les commerçants, y compris dans les zones riches en diamants comme Bria et Bakouma. En outre, la région du nord-est est restée hors du contrôle du gouvernement et est dominée par des groupes armés exploitant les diamants et l’or.
Au cours des deux dernières années, certaines factions rebelles ont repris confiance et ont recommencé à étendre leurs zones d’influence, entraînant une augmentation du nombre d’incidents violents et d’affrontements. Ces combats opposent souvent les rebelles aux forces de Wagner et à l’armée nationale dans une lutte pour le contrôle de sites miniers lucratifs dans le nord-ouest, le centre et le nord-est. La combinaison des tactiques d’attaque des rebelles et de la volonté de Wagner d’assurer le contrôle des ressources stratégiques met en évidence l’enchevêtrement profond des conflits armés et de l’exploitation des ressources naturelles en RCA, qui perpétue l’instabilité et sape la gouvernance dans les zones minières.
Entre-temps, l’aggravation de l’insécurité et les restrictions d’accès ont empêché les ONG, les humanitaires, la mission de maintien de la paix des Nations unies (MINUSCA), les experts des Nations unies et d’autres acteurs d’exercer un contrôle efficace, laissant une grande partie du secteur minier sous un contrôle opaque. Les mineurs artisanaux, en particulier, ont souffert, confrontés au vol, à l’exploitation et à la violence dans un environnement de plus en plus instable.
Qu’est-ce qui a conduit le Processus de Kimberley à lever l’embargo ?
La Fédération de Russie a inscrit pour la première fois la levée de l’embargo sur la RCA à l’ordre du jour en 2020-2021, lorsqu’elle présidait le PK. En 2024, sous la présidence des Émirats arabes unis (EAU), la pression en faveur de la levée de l’embargo s’est considérablement intensifiée. Le président émirati du PK s’est rendu dans le pays, de sa propre initiative, en février pour souligner la faisabilité d’une mission d’examen du PK afin d’évaluer la conformité du pays avec les exigences de suivi du PK. Bien que cette mission ait été initialement annoncée en 2019, elle a été reportée pour des raisons de sécurité. Le gouvernement de la RCA a accueilli la mission en septembre 2024, et ses conclusions ont été présentées et débattues lors de la plénière du PK de novembre 2024 à Dubaï.
Ces débats ont toutefois été largement politiques, avec une attention minimale accordée aux rapports de l’ONU et des ONG détaillant les problèmes de sécurité persistants dans les zones minières. Comme l’affirme la Coalition de la société civile du PK, dont IPIS est membre, “[c]es dynamiques ont simplifié à l’extrême une situation profondément complexe, la réduisant à un débat binaire sur la levée de l’embargo alors qu’en fait, nous avions besoin d’une évaluation réfléchie des lacunes du PK et de la manière dont nous pouvons mieux soutenir les communautés exploitants les diamants en RCA”.
Quelle est la prochaine étape pour le République centrafricaine ?
L’assemblée plénière du PK a célébré la levée de l’embargo, mais n’a pas présenté de plan d’action pour s’attaquer aux causes profondes de problèmes tels que la fraude, la corruption, la contrebande, l’insécurité et la dévastation des zones d’extraction de diamants. Présenter cette décision comme la conclusion d’un problème plutôt que comme le début d’une nouvelle solution, c’est compromettre les chances d’une amélioration significative. Dans leur empressement à présenter cette décision comme une réussite, les participants au Processus de Kimberley se sont encore éloignés des réalités du terrain, comme le montrent deux événements opposés survenus au cours de la même semaine. Le Conseil de sécurité des Nations unies a prorogé le mandat de la MINUSCA, citant les menaces persistantes des groupes armés pour la sécurité et la stabilité de la République centrafricaine. Simultanément, l‘Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) a suspendu la RCA, soulevant des questions quant à l’engagement réel du gouvernement en faveur de la transparence et de la redevabilité.
Pour que la RCA aille de l’avant, des efforts ciblés et un soutien durable seront nécessaires pour améliorer la sécurité et le bien-être des communautés vivant sur les sites miniers ou à proximité. Dans son discours de clôture de la séance plénière du PK de Dubaï, la coalition de la société civile a proposé une feuille de route pour relever ces défis, dont les éléments clés sont les suivants :
“
- Mettre fin à l’impunité de ceux qui profitent de la contrebande et exploitent les communautés pour blanchir des sommes considérables par le biais du commerce illégal.
- Élaborer et mettre en œuvre un cadre politique et juridique favorable à l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (ASM), soutenu par une mise en application et une surveillance rigoureuses, afin qu’un commerce légitime et bénéfique aux communautés puisse prospérer.
- Engager une véritable lutte contre la corruption et la fraude qui garantira que les bénéfices des ressources diamantifères de la RCA profitent à l’État et surtout aux communautés, plutôt que de remplir les poches personnelles de quelques-uns.
“
Quelle suite pour le PK ?
En levant l’embargo sur la RCA, le PK a de fait déclaré que les diamants de conflit n’existent plus. Même si l’on est d’accord avec cette conclusion, cela devrait soulever des questions profondes et existentielles pour le PK. Si le PK ne peut pas reconnaître les diamants de conflit en RCA – un pays où les acteurs armés exploitent encore des parties du secteur du diamant d’une manière qui relève clairement de son étroit mandat -, il est difficile d’imaginer qu’il puisse à nouveau identifier des diamants de conflit. Il est donc très probable qu’il s’agisse du dernier embargo du PK, et donc de sa dernière intervention, car les embargos sont le seul instrument de sa boîte à outils limitée.
Une fois de plus, le dernier cycle de réforme, ne promet guère de relever ces défis, car la crise géopolitique actuelle éloigne encore davantage les 86 pays membres du PK du consensus nécessaire à la prise de décisions. Les discussions sur l’élargissement de la définition du diamant de conflit sont à nouveau bloquées, tandis que les questions plus générales sur le modus operandi du PK ne sont même pas soulevées.
Cette évolution soulève de sérieuses questions quant à la nécessité et à la pertinence de la structure actuelle du PK. Si le PK affirme que la question des diamants de conflit est résolue, pourquoi maintenir un système coûteux d’examen par les pairs et exiger de centaines de délégués qu’ils se déplacent à l’étranger plusieurs fois par an ? Il convient donc de se demander si ses activités ne devraient pas être réduites à un mécanisme commercial plus rationnel, reflétant sa portée et son ambition limitées.
Implications pour l’industrie du diamant
Avec la levée de l’embargo sur les diamants de la RCA, le commerce a été immédiatement et inconditionnellement rouvert, à l’exception de l’obligation pour la RCA de rendre compte des progrès accomplis lors des réunions intersessionnelle et plénière du PK en 2025. Cette décision déclare effectivement que des zones longtemps dominées par des réseaux criminels, des groupes armés et, plus récemment, des mercenaires de Wagner sont ouvertes au commerce mondial. Alors que ces acteurs malveillants ont toujours réussi à vendre les diamants centrafricains par des voies illicites, la levée de l’embargo ouvre désormais la porte d’entrée en grand.
En outre, la hausse attendue des exportations légales en provenance de la RCA pourrait involontairement servir de couverture pour masquer des diamants de contrebande ou illicites au sein du commerce légitime. Par exemple, la Russie pourrait en théorie exploiter cette situation pour acheminer des diamants sanctionnés vers la RCA et les exporter comme étant d’origine centrafricaine sans même avoir besoin de falsifier les certificats du PK. Normalement, une forte augmentation des exportations éveillerait les soupçons, mais dans ce cas, il pourrait être difficile de discerner si cette croissance est due à des réductions légitimes de la contrebande, à mesure que toutes les zones sont rouvertes, au commerce légal. Il est donc essentiel que l’industrie prenne des mesures proactives et coordonnées pour faire respecter les normes éthiques et promouvoir la stabilité dans le secteur du diamant en RCA.
L’industrie du diamant doit donc faire preuve d’une vigilance accrue. Ces dernières années, la plupart des exportations officielles de diamants de la RCA ont transité par Dubaï, aux Émirats arabes unis, une plaque tournante susceptible d’attirer une part encore plus importante de ce commerce dans l’environnement post-embargo. Depuis Dubaï, ces diamants sont distribués dans des centres importants tels qu’Anvers, Mumbai, Ramat Gan, New York et Hong Kong.
Il est encourageant de constater que les sanctions imposées par le G7 aux diamants russes ont entraîné des progrès significatifs dans les efforts de traçabilité de l’industrie, ce qui pourrait s’avérer déterminant pour faire face aux risques posés par la réouverture du commerce des diamants en RCA. Associées à une véritable diligence, les solutions de traçabilité améliorées offrent un moyen de garantir que les achats de diamants soutiennent le développement de la RCA plutôt que d’alimenter la criminalité et les conflits.