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Le M23 « version 2 » : Enjeux, motivations, perceptions et impacts locaux

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Depuis 2021, l’est de la République démocratique du Congo (RDC) est à nouveau sous l’emprise du groupe armé du « Mouvement du 23 mars » (M23). Défait en 2013, le M23 a repris les armes en 2021, et réussissait en 2022 à s’emparer rapidement de vastes territoires au sud-est de la province du Nord-Kivu.

Pour plus d’informations, contactez Ken Matthysen.

Zones occupées par le CNDP en 2008, M23 en 2012, et M23 en 2023, dans la province du Nord-Kivu.

Bien que l’appui de l’armée rwandaise soit un élément crucial dans la résurgence du M23, le mouvement est avant tout motivé par ses propres intérêts et objectifs. Cette étude met ainsi en lumière les enjeux et impacts locaux de la crise M23, à travers le regard des acteurs locaux au Nord-Kivu. Elle est le fruit d’entretiens menés par l’équipe d’ASSODIP avec 57 personnes de la province du Nord-Kivu.

Prédominance des contextes historiques et régionaux 

L’étude souligne d’abord l’importance du contexte régional, et notamment les tensions et problématiques de nature économique, politique, sécuritaire et humanitaire. Les pays de la région des Grands Lacs, et surtout le Rwanda, ont été accusés d’appuyer le M23, et de leur permettre ainsi de reprendre la lutte armée. Ce soutien ravive la crainte d’une « balkanisation », référant à la volonté présumée des acteurs de la communauté internationale, et surtout du Rwanda, de vouloir diviser la RDC.

Afin de mieux comprendre les motivations du groupe armé, l’étude remonte ensuite aux racines historiques du conflit du M23. Elle souligne l’importance d’enjeux remontant à la période coloniale et à celle qui a immédiatement suivi l’indépendance mais aussi des tensions qui opposent les Hutus, et surtout les Tutsis, aux autres groupes ethniques de la province.

« Ce clivage [autochtones- allochtones], l’ombre des puissances coloniales et le comportement des gestionnaires des pouvoirs coutumier et moderne ont été […] décisifs en régions d’immigrations. »

Un fonctionnaire résume ainsi les différentes causes du conflit au Nord Kivu

Différantes cartes de l’étude

La problématique du droit foncier

La dualité de la loi foncière, qui reconnaît à la fois le droit écrit et la responsabilité du pouvoir coutumier dans la gestion des terres, crée une confusion et empêche de garantir les droits de propriété des usagers. Cela alimente les tensions existantes liées à l’accès aux terres et qui impliquent souvent des discriminations à l’encontre des communautés qualifiées de « non-autochtones ». Infiltrer et maitriser le pouvoir au niveau local constitue donc un enjeu important, car les chefs locaux garantissent l’accès à la terre. Par conséquent, beaucoup d’intervenants perçoivent la guerre actuelle comme une tentative de sécuriser la maitrise des terres à long terme, et en particulier la défense, par le M23, des terres acquises par la communauté « Tutsi ».

Des sources de financement au-delà des ressources minières

Quittance pour un camion sur l’axe vers Mushaki.

Afin de contrecarrer l’idée selon laquelle la résurgence du M23 s’expliquerait par une volonté d’accéder aux ressources naturelles, l’étude explore les sources de financement du groupe armé. Au-delà du soutien externe de l’armée rwandaise, le M23 déploie plusieurs stratégies au niveau local :  

  • La taxation illégale des ménages.
  • Les prélèvement sur le mouvement des biens et des personnes à travers notamment, l’érection de barrières routières. 
  • Le travail forcé (par exemple, pour la récolte des produits agricoles).  
  • Des revenus de l’exploitation illégale des ressources naturelles (trafic de bois, et de charbon de bois). 

Des conséquences sécuritaires profondes 

Cette crise a ravivé une série de groupes armés locaux au Nord-Kivu qui s’opposent au M23. Il s’agit de groupes tribalo-ethniques anciens et nouveaux qui prétendent lutter contre toute occupation étrangère. Ces groupes armés se sont unifiés sous l’appellation de « Wazalendo », signifiant ‘patriotes’, mais sont en réalité un amalgame très fragmenté de groupes Nyatura et Maï-Maï préexistants. L’offensive du M23 semble être utilisée comme un prétexte pour intensifier leurs extorsions sur les civils et leur ingérence dans l’économie et la gouvernance locale. Au lieu d’endiguer la résurgence de ces groupes armés, le gouvernement de la RDC a plutôt légitimé le phénomène des Wazalendo à travers notamment une loi sur l’institution d’une « réserve armée ». 

Cette « milicianisation de la gouvernance locale » risque d’hypothéquer les futurs efforts de désarmementet de pacification dans l’est de la RDC, au-delà de la crise actuelle.

Images: ©ASSODIP

Cette publication a été réalisée avec le soutien financier de la Direction générale belge de la coopération au développement et de l’aide humanitaire (DGD). Le contenu de ce document ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de la Coopération belge au développement.