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Pierres de couleur dans l’est de la RDC: L’exploitation et le commerce de la tourmaline dans les provinces du Kivu

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Jusqu’à présent, les principaux efforts d’approvisionnement responsable en République Démocratique du Congo (RDC) se sont principalement concentrés sur le secteur des 3TG, c’est-à-dire la cassitérite (Tin), la wolframite (Tungsten), le coltan (Tantalum) et l’or (Gold). Cependant, l’exploitation artisanale d’autres types de minerais, comme les pierres précieuses et semi-précieuses, telles que la tourmaline, contribue également de manière importante au développement des communautés locales.

Lors du 9 forum de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) qui s’est tenu en mai 2015, la hausse de la production et du commerce de la tourmaline dans l’est de la RDC a incité les parties prenantes congolaises, dont SaveActMine (SAM), à souligner l’importance du secteur des pierres précieuses de couleur venant de RDC pour l’approvisionnement responsable dans le contexte du Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsable en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque.

Suite à ces observations, l’International Peace Information Service (IPIS) et SAM ont effectué une mission de recherche conjointe en septembre 2015 visant à se pencher sur l’exploitation et le commerce de tourmaline dans les Kivu. Cette recherche a confirmé que le secteur de la tourmaline dans l’est de la RDC semble connaître une croissance notable. Depuis 2012, une hausse des prix des pierres précieuses aurait attiré, rien que dans les Kivu, des milliers d’exploitants artisanaux vers ce secteur lors de pics de production. Les sites d’exploitation de tourmaline visités dans le cadre de cette recherche dans le sud du territoire de Masisi (Nord-Kivu) et autour de Numbi (territoire de Kalehe au Sud-Kivu) ont connu des augmentations importantes dans leur nombre d’exploitants artisanaux en 2014 et 2015, avec près de quatre mineurs sur cinq qui seraient impliqués dans l’exploitation de la tourmaline dans la région de Numbi. Cela a permis à la ville de Numbi de se développer en tant qu’important marché pour le commerce des pierres précieuses (en particulier de la tourmaline). Les autorités locales affirment que la plupart des négociants enregistrés localement sont actifs dans la tourmaline. Sur place, les personnes concernées ont signalé la possibilité de faire des profits considérables avec des pierres de haute qualité.

Jusqu’à récemment, une certaine négligence en matière réglementaire et l’absence de centres de négoce officiels pour l’achat et l’exportation de pierres précieuses en RDC ont conduit le commerce de pierres de couleurs congolaises à se développer presqu’exclusivement dans le secteur informel. De ce fait, l’exploitation s’est à ce jour massivement déroulée de manière illégale, les pierres quittant le pays clandestinement pour être vendues dans les pays voisins, tels que le Rwanda et la Tanzanie. L’intérêt croissant pour ce secteur a également entrainé la délivrance des premières licences pour exportation des pierres précieuses de couleur tant au Nord qu’au Sud-Kivu. L’intérêt croissant pour la tourmaline signifie que le secteur des pierres de couleur pourrait avoir un potentiel de contribution à la création d’emplois et au développement économique de l’est de la RDC. Cependant, l’essor d’un commerce de pierres petites mais de grande valeur entre les exploitants artisanaux et les négociants informels peut aussi avoir comme risques potentiels le financement de conflits armés ou des violations des droits de l’homme. Les recherches conduites pour la rédaction de ce rapport ont permis de mettre en évidence plusieurs témoignages de prédation par des acteurs de sécurité, entrainant des épisodes de travail forcé, d’exploitation nocturne et de taxation illégale pendant au moins l’un des pics d’exploitation artisanale de la tourmaline. Ont aussi émergé des témoignages de participation d’éléments indisciplinés des forces publiques de sécurité dans l’exploitation et le commerce de la tourmaline. De plus, bien que la plupart de l’exploitation de la tourmaline dans les Kivu ait jusqu’à présent pris place dans des zones bénéficiant d’une amélioration de la sécurité globale, le banditisme reste problématique et des groupes armés non étatiques continuent d’opérer dans les localités adjacentes.

Les éléments ci-dessus suggèrent que la tourmaline ne devrait plus être considérée comme un élément marginal dans le domaine de l’approvisionnement responsable en minerais issus de l’est de la RDC. En effet, dans le cadre de cette recherche, il a été suggéré que certains négociants auraient pu déclarer des minerais, tels la cassitérite, comme étant de la tourmaline de peu de valeur afin de contourner les obligations d’étiquetage et de minimiser le paiement de taxes. Il convient donc de s’interroger sur l’importance du contrôle de la tourmaline afin d’assurer une mise en oeuvre fiable de l’approvisionnement responsable pour les autres minerais.

 Cette recherche menée par IPIS et SAM a également mis en évidence un certain nombre de conditions potentiellement favorables à l’approvisionnement responsable depuis certaines zones visitées. Relevons notamment l’amélioration des conditions de sécurité locale, l’existence de sites validés et suivis par iTSCi à proximité, ainsi qu’une sensibilisation accrue aux exigences de diligence raisonnable de l’OCDE parmi les parties prenantes, y compris des efforts déjà déployés pour pallier la non-conformité aux normes de l’OCDE.

Ce rapport présente les résultats de la recherche menée conjointement par IPIS et SAM sur le commerce de la tourmaline dans les Kivu, ainsi que la situation sur certains sites visités en septembre 2015. Il vise à fournir davantage d’informations à ceux qui souhaiteraient explorer la possibilité d’un approvisionnement responsable en pierres précieuses depuis l’est de la RDC. Ce faisant, nous espérons que le présent document apportera sa modeste contribution aux discussions en cours parmi les acteurs en aval de la chaîne de production concernant la mise en oeuvre des exigences de diligence raisonnable de l’OCDE dans le secteur des pierres précieuses et de couleur.

 

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