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Barrages routiers à Masisi et Walikale: Prédation sur la circulation en période de troubles

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Si les minerais sont au centre des recherches sur le financement des conflits en République démocratique du Congo, les acteurs armés ont souvent recours à d’autres sources de revenus pour financer leurs luttes. Lesbarrages routiers en font. Dans ce rapport, produit en collaboration avec ASSODIP et le Danish Institute for International Studies (DIIS), IPIS étudie le lien entre les barrages routiers et le secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (ASM) au niveau local dans les territoires de Masisi et de Walikale au Nord-Kivu, ainsi que leur impact sur la sécurité dans la zone.

Barrages routiers à Masisi et Walikale, 2023.

Au cours de son étude, IPIS a recueilli des données sur l’emplacement, la nature et les opérateurs de plus de 110 barrages routiers dans les territoires de Masisi et Walikale. Bien que les barrages routiers puissent remplir diverses fonctions, notamment le contrôle de la circulation, la sécurité ou la facilitation de la collecte légale des impôts, ils sont souvent érigés sans mandat officiel. Ainsi, de nombreux barrages routiers existent souvent en tant que mécanisme d’imposition illégale et de génération de revenus pour leurs opérateurs. L’étude a révélé qu’il n’est pas rare que les barrages routiers changent fréquemment de mains, ce qui signifie qu’un barrage peut être tenu par différents opérateurs sur une courte période de temps.

Le rapport a révélé que, parmi ces opérateurs, l’armée congolaise semble être l’un des acteurs les plus représentés. Contrôlant 44% de tous les barrages routiers étudiés, elle est suivie en termes de contrôle par les groupes armés non étatiques, incluant les “Wazalendo”, les chefferies et les autorités locales, et la police. En comparaison avec une précédente étude d’IPIS sur les barrages routiers au Nord-Kivu datant de 2017, la part globale du contrôle des barrages routiers par des groupes armés non étatiques a augmenté de plus de 117 %. Cette augmentation semble liée à l’évolution de la situation sécuritaire dans la région, notamment : la fragmentation des groupes armés, l’état de siège et la contre-offensive contre le M23.

IPIS a analysé le lien entre les barrages routiers et le commerce des minerais dans les deux territoires. La moitié des barrages routiers cartographiés par l’étude taxent les minerais ou les négociants en minerais, tandis que 1/6e des barrages routiers étudiés ont été établis uniquement pour taxer l’ASM ou le commerce des minerais. En fait, divers acteurs importants du secteur, tels que les coopératives, la police des mines et les détenteurs de concessions semblent tous être impliqués, dans une certaine mesure, dans l’exploitation des barrages routiers. Ceux-ci surveillent souvent le flux de circulation à l’entrée et à la sortie des sites miniers et taxent directement ou indirectement les minerais.

Cependant, les barrages routiers ont des impacts critiques au-delà du secteur minier. Il s’agit notamment de la restriction de la liberté de mouvement de la population locale et des commerçants, d’un impact contrastésur la sécurité évoluant entre une menace constante de violence et une plus grande perception de la sécurité parmi les habitants. De plus, les taxes imposées par les barrages routiers sur les biens et l’accès au marché peuvent être incorporées dans les prix locaux, ce qui induit une forte augmentation du prix des produits de base locaux. Il est important de noter que 70 % des barrages routiers étudiés taxaient les produits agricoles, ce qui signifie qu’ils dépassent les minerais en tant que produits les plus taxés aux barrages routiers. Cela met en évidence des schémas plus larges de financement des conflits dans la région, qui vont au-delà du financement des conflits par les minerais.

En résumé, l’étude a révélé que par rapport à 2017, le contrôle des réseaux de transport du Nord-Kivu est devenu de plus en plus fragmenté et militarisé. Elle a également montré comment les barrages routiers constituent un élément clé de l’économie politique du conflit au Nord-Kivu, et que malgré leur éloignement fréquent des sites miniers, les schémas d’approvisionnement responsable doivent les considérer comme une forme d’interférence armée avec les minerais en transit. Enfin, l’étude a également mis en évidence la nécessité d’approfondir les recherches sur les impacts exacts des barrages routiers sur les moyens de subsistance des plus vulnérables au Nord-Kivu, ainsi que sur le fonctionnement des organisations d’aide internationale dans la région.

Rendu possible grâce au soutient de USAID à travers son projet Integrated Land and Resource Governance (ILRG).