BRIEFING

Pourquoi le M23 n’est pas un groupe rebelle comme les autres

IPIS Briefing – Janvier 2023

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L’année dernière, des changements majeurs sont intervenus dans la partie orientale de la République Démocratique du Congo (RDC), ravagée par des groupes armés depuis des décennies. Un groupe en particulier est passé au premier plan, le Mouvement du 23 Mars (M23). Les objectifs du M23 se situent à l’intersection des intérêts de pouvoir locaux, nationaux et régionaux, comme l’a souligné, entre autres, le dernier rapport du groupe d’experts des Nations unies sur la RDC, qui explique en détail comment ce groupe rebelle est soutenu par le Rwanda. Les tensions entre les deux pays ont été exacerbées lorsque le Rwanda, le 24 janvier 2023, a tiré sur un avion de chasse congolais, accusant l’armée congolaise (Forces armées de la RDC, ou FARDC) de violer son espace aérien.

Après une brève introduction sur l’histoire du M23, ce briefing examine trois aspects qui illustrent comment le mouvement se distingue des autres groupes rebelles. Tout d’abord, nous nous concentrons sur la manière dont le renouveau du M23 modifie les alliances sur le terrain. Deuxièmement, nous développons l’impact régional du M23. Enfin, nous examinons certaines tentatives de paix, dans un contexte de tensions ethniques, et leurs chances de succès.

Perspective historique sur le M23

Le M23 est issu du groupe rebelle Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), qui a déposé les armes le 23 mars 2009, à la suite d’un accord de paix stipulant que ses soldats seraient intégrés dans la police et l’armée congolaises, tandis que l’aile politique du CNDP deviendrait un parti officiellement reconnu. Cependant, une faction au sein du CNDP a par la suite dénoncé la mauvaise application de l’accord et s’est transformée en un nouveau groupe rebelle. Ce dernier s’est fait connaître sous le nom de M23 en 2012. En plus de proclamer l’application des termes de l’accord de paix, le M23 prétend défendre les intérêts des minorités congolaises de langue tutsi et kinyarwanda. Dans le discours du M23, les doléances de ces minorités gravitent autour des menaces des milices hutus et de l’inaptitude de l’État à les protéger. Malgré ces objectifs proclamés, le M23 a commis des violations des droits de l’Homme contre des civils, y compris des Tutsis, notamment lorsqu’il a occupé la capitale provinciale de Goma, au Nord-Kivu, en 2012. Il a fallu une action militaire conjointe des FARDC et de l’ONU pour vaincre le M23, entraînant la fuite des combattants vers le Rwanda et l’Ouganda.

Depuis sa défaite militaire en 2013, et à l’exception de quelques incidents mineurs, le M23 est resté en sommeil pendant près de dix ans, jusqu’à la fin de l’année 2021, date à laquelle le groupe a à nouveau intensifié ses attaques. En mars 2022, la violence s’est intensifiée lorsque le M23 a abattu un hélicoptère de l’ONU, tuant six soldats onusiens. En outre, le M23 a pris le contrôle de vastes parties du territoire de Rutshuru. Le raid sur la base militaire de Rumangabo en mai 2022 et la prise de la ville frontalière de Bunagana en juin, ont été les catalyseurs de la mainmise du M23 sur le Nord-Kivu. Si la première attaque a permis au M23 d’avoir accès à des armes de qualité militaire, la seconde opération a augmenté sa base de revenus grâce à la taxation illégale du commerce frontalier. Fin novembre 2022, le M23 s’est également emparé des groupements stratégiques de Kibumba et Buhumba, dans le territoire de Rutshuru. Cela leur a permis de couper la Route Nationale 2, une voie d’accès majeure à Goma. Par conséquent, certains craignent que leur contrôle des approvisionnements de Goma soit une première étape vers la reconquête de la ville.

L’ennemi de mon ennemi

La première conséquence du renouveau du M23 est que divers groupes rivaux ont conclu un pacte de non-agression lors d’une réunion informelle en mai 2022, à Pinga, au Nord-Kivu. Ces anciens rivaux ont pu avoir eu des raisons différentes de former cette coalition, mais les motifs patriotiques jouent certainement un rôle, car beaucoup perçoivent le M23 comme un mandataire étranger. Outre cette coalition de rebelles, les FARDC cherchent également des alliés inhabituels dans leur lutte contre le M23. Par exemple, le rapport de l’ONU susmentionné explique en détail comment les FARDC ont fourni des armes et des munitions à divers groupes armés non étatiques et se sont même engagées dans des combats avec eux. L’ONG de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch a dénoncé ces pratiques, car elles cautionnent et soutiennent des groupes qui sont accusés de graves violations des droits humains. Finalement, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a condamné les FARDC et remanié les commandants de l’armée au Nord-Kivu le 6 juillet 2022. Cependant, des images vidéo suggèrent qu’à l’automne 2022, les FARDC collaboraient toujours avec les rebelles des Forces démocratiques de la libération du Rwanda (FDLR).

Un deuxième exemple de la façon dont le M23 modifie l’équilibre du pouvoir sur le terrain est celui de ses propres interactions avec la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (FRCAE), qui soutient les FARDC dans la lutte contre les groupes armés dans l’est du Congo. Même s’il est visé par la FRCAE, le M23 semble profiter de l’implication de cette dernière. Par exemple, Lawrence Kanyuka, le porte-parole politique du M23, a annoncé dans un communiqué de presse que son mouvement allait céder la ville de Kibumba à la FRCAE, ce qui pourrait être une tentative d’accroître sa légitimité et son pouvoir de négociation au niveau régional. Quoi qu’il en soit, il est remarquable que le M23 ait choisi de céder la ville à la FRCAE plutôt qu’aux FARDC. Le communiqué de presse du M23 s’est étendu sur cette attitude positive envers la force armée régionale : “Il s’agit d’un geste de bonne volonté au nom de la paix” et “le M23 exprime sa gratitude aux dirigeants régionaux pour leurs efforts continus en vue de trouver une solution pacifique au conflit actuel dans l’est de la RDC”. Néanmoins, les acteurs locaux ont confirmé que le M23 n’avait pas quitté Kibumba, ce que le M23 a réfuté à son tour.

Le M23 au carrefour des rivalités régionales 

Un deuxième aspect qui distingue le M23 des autres groupes armés est son impact sur le fragile équilibre des pouvoirs dans la région des Grands Lacs africains. La rivalité qui existe depuis des décennies entre l’Ouganda, le Rwanda et la RDC place le groupe à l’intersection des dynamiques de pouvoir nationales et régionales.

Du point de vue rwandais, le soutien apporté par le M23 aux Tutsis congolais et sa lutte contre le groupe rebelle rwandais des FDLR ont permis d’aligner certains intérêts. Selon le président Kagame, le démantèlement des FDLR est une priorité en matière de sécurité. Il l’a souligné comme suit dans un discours prononcé en février 2022 : “[…] Mais lorsque quelqu’un franchit une ligne rouge, nous ne demandons à personne la permission d’intervenir. Nous nous déplaçons simplement et réglons le problème”. Il n’est donc pas surprenant que le rapport de mi-mandat de l’ONU indique que la Force rwandaise de défense (FRD) est partiellement responsable de la renaissance du M23 en fournissant un soutien à la fois militaire et opérationnel, malgré le déni du Rwanda. Outre les préoccupations sécuritaires, les observateurs soulignent également l’importance des intérêts politico-économiques. Les promesses antérieures relatives à l’augmentation du commerce de l’or de la RDC vers le Rwanda, y compris les plans de raffinage de l’or congolais au Rwanda, et les actions militaires conjointes sont par exemple en suspens en raison de la détérioration des relations entre les deux pays.

Entre-temps, l’Ouganda rival a obtenu l’autorisation de paver 1182 km de routes dans le Nord-Kivu, ce qui devrait augmenter de manière significative le commerce frontalier entre la RDC et l’Ouganda. Cependant, Kagame perçoit la route entre Rutshuru et Goma comme une ligne rouge qui bouleverserait la sphère d’influence rwandaise au Nord-Kivu. Ce projet est également lié à l’opération Suhjaa, une opération militaire visant à sécuriser le projet routier et à combattre les Forces Démocratiques Alliées (FDA), un groupe extrémiste islamiste. Outre les routes, les intérêts miniers régionaux entrent également en jeu, le Rwanda et l’Ouganda étant les principales voies de contrebande de l’or en provenance de leur voisin occidental. Enfin, le projet de l’oléoduc d’Afrique de l’Est  (EACOP) s’élevant à plusieurs milliards de dollars à la frontière entre l’Ouganda et la RDC accroît encore les tensions. La pression est forte pour que ce projet soit mis en œuvre le plus rapidement possible, tandis que de nombreux observateurs redoutent un scénario à la Cabo Delgado, où les insurgés provoqueraient un cas de force majeure. Cela explique pourquoi l’Ouganda désir combattre les rebelles à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières.

Des pourparlers de paix sur fond de tensions ethniques 

En plus de modifier les alliances locales et d’exacerber les tensions régionales, la montée en puissance du M23 provoque une montée des sentiments anti-Tutsi et anti-Kinyarwanda. En réponse, le président Tshisekedi a exhorté ses citoyens “à ne pas céder aux propos xénophobes et autres discours de haine ou de stigmatisation des communautés rwandophones. Néanmoins, les discours de haine, la xénophobie et les théories du complot sont monnaie courante parmi les personnalités de premier plan de la politique, de la société civile et des communautés locales. Les médias traditionnels et les réseaux sociaux amplifient encore ces sentiments, ce qui entraîne des violences à l’encontre des communautés tutsies et rwandophones. La situation est aggravée par des politiciens qui exploitent les griefs de leurs électeurs et alimentent délibérément ces sentiments avant les élections nationales qui auront lieu cette année. À son tour, cette atmosphère de polarisation sape le soutien de la base aux pourparlers de paix et à la stabilité à long terme.

Pourtant, la pacification de l’est du Congo était l’une des promesses électorales du président Tshisekedi. Dans ce but, il a déclaré l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri en mai 2021, et a accepté de mener des actions militaires conjointes avec les pays voisins. Malgré ces mesures, le renouveau du M23 n’a pu être arrêté. La Communauté d’Afrique de l’Est a tenté une approche différente en organisant plusieurs pourparlers de paix avec des responsables congolais, des chefs rebelles et des partenaires régionaux afin de répondre aux griefs et de négocier les conditions de désarmement.

Malgré les efforts de pacification de la CAE, plusieurs problèmes entravent une paix durable sur le terrain. Premièrement, le M23 n’a pas été invité aux pourparlers de paix de Nairobi, car le président Tshisekedi le considère comme une organisation terroriste et un mandataire du Rwanda. Deuxièmement, le M23 et les FARDC s’accusent mutuellement de ne pas respecter les cessez-le-feu. Troisièmement, les tensions ethniques susmentionnées exacerbent encore davantage la violence. Enfin, présumer que la stabilité reviendrait dans l’est du Congo si seulement le M23 déposait les armes serait un raccourci erroné.

Quoi qu’il en soit, les réponses militaires du passé n’ont pas empêché la résurgence du M23. Par conséquent, une approche différente, qui se concentre sur les réformes structurelles, les doléances locales et la restauration du dialogue entre Tshisekedi et Kagame, est nécessaire.

Photo: Congolese fighter jet hit by a missile. Agence de Presse Africaine, January 2023

Lectures complémentaires

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