La prise de Goma, capitale du Nord-Kivu, et de Bukavu, capitale du Sud-Kivu, en janvier 2025, a remis le conflit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) au centre de l’actualité. Les ressources naturelles ont rapidement été identifiées comme un facteur clé de la violence, le coltan étant souvent cité source de contentieux. Le coltan est un minerai composé de columbite et de tantalite, à partir duquel on extrait respectivement le niobium et le tantale.
La grande majorité des reportages médiatiques se sont concentrés sur le coltan au Nord-Kivu et ont négligé la production au Sud-Kivu. La présente étude vise à corriger ce déséquilibre et s’est fixé les objectifs suivants : (i) identifier les itinéraires de contrebande du coltan depuis le Sud-Kivu ; (ii) estimer l’ampleur de la fraude ; (iii) analyser les facteurs contribuant à la fraude ; et (iv) examiner comment cette fraude est mise en œuvre en pratique. Pour répondre à ces questions l’auteur (qui a été anonymisé pour des raisons de sécurité), a visité, entre mars et décembre 2024, 18 sites d’extraction artisanale de coltan couvrant tous les territoires de la province du Sud-Kivu, à l’exception de Fizi, et s’est entretenu avec des mineurs artisanaux, des négociants, des agents étatiques et des entités de traitement.

L’analyse des itinéraires de contrebande du coltan montre que leur destination finale est le Rwanda, ce qui était déjà le cas avant l’invasion du Sud-Kivu par le M23. Le coltan extrait dans les territoires de Mwenga et Shabunda est d’abord transporté à Bukavu, puis vers le Rwanda, soit par la route, soit en traversant la rivière Ruzizi par la voie terrestre ou en pirogue. Pour le coltan provenant de Kalehe et d’Idjwi, la traversée du lac Kivu est l’itinéraire privilégié par les trafiquants de minerais.
La fraude dans le commerce du coltan est en partie due à un processus d’exportation légal qui s’avère complexe, coûteux et décourageant. Le rapport a recensé 34 procédures spécifiques nécessitant 61 signatures et impliquant 17 services ou représentants de l’État. En outre, le manque de personnel public suffisant pour surveiller tous les sites d’exploitation artisanale crée des opportunités supplémentaires pour les activités illégales. La présence de groupes armés sur les sites miniers, qui sont soit directement impliqués dans la production, soit extorquent des paiements illégaux aux mineurs constitue un troisième facteur favorisant la fraude.
Le rapport décrit trois pratiques utilisées pour exporter clandestinement le coltan. Le « vragage » est une méthode courante qui consiste à mélanger le coltan avec de la cassitérite afin d’échapper aux contrôles. Une autre méthode consiste à brouiller la tracabilité des minerais, soit en le transférant de mines illégales vers des mines légales, soit en le faisant passer clandestinement vers des points d’exportation. Pour dissimuler ces transports, le coltant est caché dans des véhicules tels que des camions, des bus, des voitures ou des motos. Ces pratiques frauduleuses sont rendues possibles grâce à la complicité d’agents de l’État corrompus et de membres indisciplinés des FARDC.
Le rapport formule plusieurs recommandations urgentes pour lutter contre la fraude et protéger les ressources naturelles du Congo. Il préconise notamment de simplifier les procédures d’exportation, d’accorder des droits d’exportation aux coopératives minières et de doter les agences de contrôle des outils techniques nécessaires. Il appelle également à la régularisation des salaires des fonctionnaires et des militaires afin de réduire leur vulnérabilité à la corruption. Plus important encore, le rapport souligne la nécessité de rétablir l’autorité effective de l’État aux frontières et dans les zones minières.
A propos de l’auteur: Pour des raisons de sécurité, l’auteur principal ne peut pas être mentionné. Ce dernier est un expert de la question minière et un membre actif de la société civile du Sud-Kivu. Il réside à Bukavu, qui était sous le contrôle du M23 au moment de la rédaction et de la publication de ce rapport.
La série « Voix du Congo » :
IPIS soutient des organisations non gouvernementales dans l’est de la République Démocratique du Congo et fournit le support et la plateforme pour diffuser leurs résultats de recherche, dans le cadre d’un projet intitulé « Voix du Congo ». Les opinions et les faits rapportés dans ces rapports ne reflètent en aucun cas la recherche ou les points de vue d’IPIS, mais donnent un aperçu de la manière dont les organisations de la société civile en RDC travaillent et analysent les problèmes et les réalités auxquels elles sont confrontées.
D’autres publications de cette série sont disponibles sur la page « Voix du Congo ».

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