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Le Processus de Kimberley doit progresser dans la négociation de la réforme sur les violences liées aux diamants ou risque des pertes de revenus et de crédibilité

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14 juin 2019

Alors que l’Inde se prépare à accueillir à Mumbai (17 au 21 juin), la dernière réunion intersessionnelle du cycle de réforme du Processus de Kimberley (PK), la Coalition de la Société civile du PK (CSC PK) exhorte les États à faire progresser les discussions et à mandater le PK du traitement de la problématique des diamants du sang. La coalition avertit qu’en alimentant les préoccupations éthiques sur le secteur, la persistance des violences dans la production des diamants, menace tant la pertinence du PK que les revenues de long terme des diamants africains.

En dépit d’un processus de réforme de deux ans et demi, il n’y a encore eu aucune discussion de fond sur les propositions relatives à la portée du PK ou sur les mécanismes devant lui permettre de s’attaquer à l’impartialité des violences liées aux diamants. Les ONG, journalistes et acteurs industriels clefs ont depuis longtemps remis en cause la pertinence du mécanisme qui ne s’attaque uniquement aux diamants extraient par les rebelles combattant les gouvernements et, excluant ainsi d’autres enjeux liés aux conflits qui affectent le secteur. En novembre dernier, des observateurs de la société civile et de l’industrie au sein du PK ont exprimé, à la suite d’une proposition soumise par le Canada, un fort soutien en faveur de discussions autour d’une nouvelle définition des diamants de conflits. La définition, visant à déclencher des échanges sur la portée du PK, inclue une référence « aux forces de sécurité privées et publiques (incluant les groupes armés criminels et les mercenaires) » ainsi qu’à « la violence généralisée et systémique, au travail forcé, au pire forme de travail d’enfants et aux violations du droit international humanitaire ».

Tandis que les diamants constituent un potentiel moteur de développement pour les producteurs africains, dans certains contextes, leur production continue à être enlisée dans la violence systémique et l’exploitation. En Angola ou au Zimbabwe par exemple, les forces de sécurité étatiques ont commis des atrocités afin de libérer des terres pour l’extraction minière à grande échelle. Aussi récemment qu’en septembre 2018, des mineurs artisanaux ont été la cible de passages à tabac et de meurtres généralisés orchestrés par les forces de sécurité angolaises, créant ainsi une crise sécuritaire régionale. L’agression et le meurtre, par des acteurs de sécurité privée, de mineurs essayant désespérément de subvenir aux besoins de leur famille sur et autour des concessions de diamants de grande échelle, reste un enjeu dans de nombreux États producteurs. « Cela peut sonner comme des informations anciennes pour certains » déclare Farai Maguwu du Centre pour la Gouvernance des Ressources Naturelles, une organisation membre de la CSC PK basée à proximité du polémique champ de diamants de Marange au Zimbabwe. « Cela reste cependant une tragédie quotidienne pour les communautés affectées ».

La demande de diamants dépend du consommateur et les experts soulignent que ces derniers sont sensibles aux enjeux étiques.  Un large panel d’alternatives à l’achat de diamants leur est proposé et ils peuvent donc renoncer à la consommation de diamants s’ils l’associent à la souffrance. « Dans cette ère de l’information, il est de plus en plus difficile d’ignorer les liens entre les diamants et les problématiques éthiques telles que la violence » souligne Shamiso Mtisi, point de contact de la CSC PK et directeur de la Zimbabwean Environmental Lawyers Association (ZELA). “La seule manière de contrer ces associations négatives est d’empêcher qu’elles se produisent ». La CSC PK, majoritairement composée d’organisations de la société civile africaine, met l’accent sur le risque que posent de telles associations sur les revenus des diamants africains au regard de producteurs de diamants synthétiques qui, de plus en plus, vendent leurs produits comme des alternatives moins couteuses et plus éthiques aux pierres issues de l’extraction.

« La plupart des acteurs industriels ont pris conscience de la menace que représentent les questions de droit de l’Homme pour le commerce de diamants naturels et, par conséquent, pour le développement africain, » souligne Filip Reyniers, directeur d’IPIS, membre de la CSC PK basé en Belgique. Tandis que la CSC PK appelle à élargir la définition du PK depuis 2010, l’organe industriel du PK, le World Diamond Council (WDC) a rejoint la bataille depuis plus d’un an et demi. Il s’est donc placé du côté des soutiens de la société civile et de la Diamond Development Initiative dans la revendication d’une définition plus large des diamants de conflits, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies de février. Attendant des progrès pour 2019, le WDC s’est dit, en novembre dernier, préoccupé par le rythme de la réforme du PK sur cette question. Pour la CSC PK, ces lueurs d’espoir pourraient bien commencer à décliner.

Jusqu’à présent, beaucoup de producteurs ont été protégés voire ont bénéficié de l’impact des préférences des consommateurs pour des pierres éthiques. Les producteurs africains flirtant avec la controverse relative aux droits de l’Homme ont continué à attirer les acheteurs et beaucoup ont répercuté les effets de ces considérations éthiques sur le prix des diamants bruts. Les commerçants indiens ont été particulièrement impliqués. Des membres de l’industrie soulignent que certains commerçants indiens ont acheté ces pierres à prix réduits pour maximiser leurs profits et en ont obscurcie l’origine controversé par le polissage. En avril, un haut fonctionnaire du Conseil indien de promotion des exportations de pierres précieuses et de bijoux (GJEPC) a annoncé l’intention de cette entité d’établir des liens directs avec le Zimbabwe pour l’approvisionnement en diamants en raison des « tarifs réduits » de ces pierres de haute qualité, ce qui permettrait aux petits diamantaires de Surat de « maximiser les profits ». Une telle perspective soulève des inquiétudes quant à l’exploitation de ces pratiques non éthiques à des fins lucratives. Elle risque également de participer à leur perpétuation. Le GJEPC n’a pas confirmé cette déclaration.

La CSC PK fait état d’un manque de soutien à l’extension du champ d’application du PK au sein même des États africains où les droits de l’Homme ne sont pas en cause. Ces États dépendent du statut « sans abus » de leur production pour la commercialisation de leurs propres pierres. Ceci ne créé que peu d’incitations, pour des producteurs comme le Botswana, à prévenir les abus qui se produisent ailleurs. La CSC PK souligne cependant qu’après toute ces années la perpétuation non contrôlée de la violence, risque d’éroder la confiance des consommateurs à l’égard des diamants en tant que produit.

« L’Association des producteurs africains de diamants (ADPA) apparait comme étant le dernier observateur du PK à reconnaitre la gravité des risques que pose la prolongation de ces abus pour la réputation des diamants africains » déclare Abu Brima, directeur du Network Movement for Justice and Development, membre sierra léonais de la CSC PK. En mai, les mineurs du Sierra Leone sont devenus l’objet d’une plaisanterie de mauvais goût portant sur le nombre de mineurs de diamants morts nécessaires à la preuve de l’engagement matrimonial dans l’Oignon, un journal satirique, et ce, malgré les efforts déployés dans le pays pour améliorer la situation des mineurs artisanaux. La plaisanterie met en évidence un manque de distinction, dans le discours populaire, entre les producteurs africains affectés par de telles problématiques. L’ADOA a été invitée à apporter sa contribution à l’extension de la portée du PK mais n’est pas supposée rendre de compte avant la fin de la réunion intersessionnelle.

La responsabilité incombe aux États » continue Mr Mtisi. « Le PK est un mécanisme géré par les gouvernements et si les États producteurs n’ont pas conscience de l’ampleur de la menace que ces abus font peser sur la durabilité de leurs secteurs diamantaires, alors, le PK ne se réformera pas. Nous demandons aux gouvernements du PK d’agir rapidement dans la réponse aux appels au changement, à la fois des consommateurs et des communautés, à travers des engagements constructifs sur la réforme du mandat du PK ».