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Groupes armés, contrôle territorial, conflits fonciers et exploitation aurifère à Djugu, Ituri, République démocratique du Congo

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Fin 2017, près de quinze ans après la fin de la deuxième guerre du Congo, et après plusieurs années de coexistence pacifique relative, les tensions intercommunautaires se sont à nouveau enflammées dans la province de l’Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). En décembre 2017, des incidents violents isolés entre des membres des communautés Hema et Lendu ont provoqué une escalade et annoncé le début d’un nouveau cycle de violences meurtrières et de déplacements internes à grande échelle. En 2021, la violence persistante dans l’est de la RDC, en particulier dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, a conduit le gouvernement de la RDC à imposer la « loi martiale ».

Ce rapport étudie le lien entre l’exploitation de l’or dans le territoire de Djugu, dans la province de l’Ituri, et le conflit actuel. Il questionne si les conflits actuels dans la province d’Ituri résultent d’une compétition pour les ressources minérales, ou si la présence de mines d’or est plutôt une opportunité de financer les efforts de guerre. Bien qu’aujourd’hui l’or ne semble pas être la cause première des conflits, il devient de plus en plus un atout important dans les stratégies de survie des groupes armés.

Il convient de souligner deux éléments contextuels importants à Djugu : l’importance économique des mines d’or et l’importance de l’ethnicité dans l’administration locale. Le conflit armé actuel à Djugu, en Ituri, n’a cependant pas été causé par la compétition pour le contrôle de l’or. Les hostilités ont commencé en 2017-2018 dans les zones agricoles et d’élevage où se trouvent peu de sites miniers, et ne se sont déplacées vers les zones d’exploitation de l’or qu’à un stade ultérieur du conflit. Les groupes armés se sont progressivement déplacés vers les zones minières de Djugu au fur et à mesure que les conflits perduraient. La CODECO l’a fait à la recherche de nouvelles ressources dans le cadre de sa stratégie de survie, tandis que les groupes d’autodéfense Jeunesse/’Zaïre’ voulaient protéger les terres et les sites miniers qu’ils considèrent comme faisant partie du patrimoine de leur communauté contre l’agression de la CODECO.

Ce rapport explique des éléments cruciaux qui contribuent à expliquer la persistance du conflit et qui minimisent dans une certaine mesure le rôle de l’or. Les questions foncières sont à la base de tensions durables entre les communautés en l’Ituri. Des désaccords en apparence insignifiants ont montré qu’ils pouvaient dégénérer en violence.  La violence a surtout, mais pas uniquement, été observée dans les zones enclavées (qui font partie d’un patchwork territorial, métaphoriquement appelé “peau de léopard”), dont les limites sont constamment contestées. La propriété foncière, les droits fonciers coutumiers et l’accès à la terre en général sont les principaux facteurs de conflit. L’exploitation minière est également intrinsèquement liée à la question foncière et le lien entre l’or et les conflits en est donc indissociable.

Conclusions du rapport :

  • L’or n’est pas la cause première des conflits actuels en Ituri, mais il constitue néanmoins un atout important dans les stratégies de survie des groupes armés.
  • Les griefs historiques non résolus concernant les inégalités sociales et les droits fonciers ont contribué à créer des divisions durables entre les communautés, qui ont fini par dégénérer en violences intercommunautaires.
  • La réponse du gouvernement congolais à la violence, à savoir l’imposition de la loi martiale, n’a pas rétabli la paix et la stabilité dans la province d’Ituri. Pour instaurer une paix durable, le gouvernement devra s’attaquer fondamentalement aux problèmes qui sous-tendent les griefs de la population.

En conclusion, les conflits actuels semblent être enracinés dans un réseau complexe de griefs communautaires anciens relatifs aux inégalités sociales réelles ou perçues, à un accès inégal à la terre et à une répartition du pouvoir politique perçue comme injuste. L’exploitation de l’or et l’accès à d’autres ressources naturelles ne sont pas les causes premières des conflits actuels, mais sont de plus en plus devenus des atouts cruciaux dans les stratégies de survie des groupes armés qui continuent à déstabiliser la province. Le fait que les tensions intercommunautaires se soient ravivées après plusieurs années de coexistence relativement pacifique et qu’elles aient rapidement dégénéré en violences intercommunautaires à grande échelle est très préoccupant, car il indique que des différends non résolus couvent depuis longtemps et qu’une paix durable ne reviendra pas tant que les questions locales fondamentales liées à l’accès à la terre, à l’autorité coutumière, à la gouvernance minière et aux inégalités sociales et politiques entre les communautés n’auront pas été traitées, ou du moins inscrites à l’ordre du jour des gouvernements locaux et nationaux.

Rendu possible par le soutient de USAID à travers son projet Integrated Land and Resource Governance (ILRG).